mardi 12 janvier 2010

Depuis le rattachement par loi du 3 août 2009 de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, la cohabitation des deux forces chargées de la sécurité est un art délicat.

Ainsi en est-il de l’histoire d’un décret daté du 12 septembre 2008 qui organisait le statut des officiers de gendarmerie. Le premier alinéa stipulait que «les officiers de gendarmerie constituent l'encadrement supérieur de la gendarmerie nationale, commandent les formations de la gendarmerie nationale et exercent des responsabilités de conception et de direction».

Rien d’original a priori sauf que les termes utilisés ont fait bondir les commissaires et officiers de police.

En effet, le corps des commissaires est officiellement appelé dans la police le «corps de conception et de direction» et le corps des officiers, le «corps de commandement et d'encadrement». Les nuances sont doublement importantes.

D’abord car elles découlent d’une réforme fondatrice dite des «corps et des carrières» qui avait transformé, au grand dam des officiers de gendarmerie, les anciens inspecteurs de police en officiers de police.

Ensuite parce que les organisations de ces mêmes officiers militent pour fusionner leur corps avec celui des commissaires. Un officier de police pourrait alors débuter sa carrière en tant que lieutenant et terminer contrôleur général, inspecteur général ou même directeur des services actifs, à l'image de ce qui se passe... dans la gendarmerie!

On comprend alors que la formulation du décret ait suscité un grand intérêt chez les officiers de police et une réelle crainte chez les commissaires. Elle apportait indirectement aux premiers une occasion de pousser leur revendication en arguant que si des officiers (de gendarmerie) exerçaient des fonctions de conception et de direction, il n'était plus nécessaire de conserver la différence existant dans la police. Quant aux seconds, ils mesuraient le danger inverse.

Devant ces réactions, la ministre de l’époque Michèle Alliot-Marie avait accepté de réécrire cet article du décret. Ce qui vient d’être fait en catimini, le nouveau décret venant de paraître le 30 décembre dernier dans le silence quasi complet.

Dans le nouveau texte, les mots «exercent des responsabilités de conception et de direction» sont remplacés par «en conçoivent le service». Dès lors, le statut des officiers de gendarmerie prévoit maintenant que ces derniers «constituent l'encadrement supérieur de la gendarmerie nationale, commandent les formations de la gendarmerie nationale et en conçoivent le service».

Mais las, à la découverte, récente, de ce texte, ce sont les officiers de gendarmerie qui se sentent floués.

Ils jugent que si la nouvelle formulation arrange les commissaires, elle aboutit à les rapprocher encore plus des officiers de police alors qu’ils estiment n’avoir ni la même formation, ni le même mode de recrutement, ni les mêmes fonctions sur le terrain.

De leur point de vue, leur travail et leurs responsabilités leur semble plus comparable à ceux des commissaires. Ainsi par exemple, un commissaire qui sort de l'école est régulièrement affecté à la direction d'une sûreté urbaine qui compte en moyenne une vingtaine de fonctionnaires ce qui est aussi souvent le cas d’un lieutenant de gendarmerie qui peut prendre le commandement d'une Communauté de brigades dotée d’autant de personnel.

Du coup, nombreux sont les officiers de gendarmerie qui s’interrogent sur la carrière que choisira demain un étudiant en droit: un recrutement bac+3 avec un an d'école (police) ou un recrutement Bac+4 avec deux ans d'école (gendarmerie) si, au final, ils obtiennent le même résultat?

On le voit, la sensibilité est maximum sur ce sujet. Elle traduit les difficultés d’application de la loi d’août 2009. Certes, l'idée de favoriser les synergies entre les deux forces était une orientation de bon sens même si leur identité reposait sur des règles distinctes d'engagement et une légitimité puisant à des sources différentes: l'État pour le militaire, la loi et le Code pénal pour le policier.

Reste qu’en dépit des assurances données par Nicolas Sarkozy tout au long du processus, un point de non-retour semble aujourd'hui bien franchi, au point qu’il est raisonnable de penser qu’un tournant définitif s’est bel et bien opéré comme j’ai tenté de le montrer dans une note.

La mutualisation des moyens, le regroupement de certaines fonctions et l’uniformisation qui en découle apparaissent irréversibles. À terme, aucune des deux institutions ne pourra plus opérer de façon autonome. C’est bien cette perspective inavouée de la constitution d’une force unique de sécurité qui semble donner sa cohérence au mouvement de rapprochement en cours.

Le problème, c'est que le gouvernement -et plus singulièrement Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur- ne veut pas l'admettre.

Aucun commentaire: